Le jour où tu décides que tu déménages, tu ne le réalises pas tout de suite, mais au dessus de ta petite tête, le compte à rebours commence.
Tu te fais un planning jusqu'au jour J, avec toutes les admninistrations à contacter, les abonnements à résilier. Tu te fixes un ou deux cartons à fermer par jour, et une heure de désencombrement, tri, réorganisation, histoire de ne pas courir dans tous les sens le jour de l'emménagement.
Tu es pleine d'entrain, tu adores déménager. Ca t'évite l'encroûtement qui te guette. Tu n'as pas assez de force vive pour ne pas t'enliser dans une vie confortable. Tu as besoin de ces challenges permanents pour te sentir exister. Tu le sais, et tu accueilles cette nouvelle épreuve avec bonheur finalement.
Tu as deux mois devant toi. Tu décides de faire du tri dans la paperasse, tu es toute guillerette, peut être même que tu sifflottes. Tu descends l'escalier de la cave, enjambes un carton de chaussures qui moisissent sagement dans un coin (note pour plus tard : ne jamais poser de carton à même le sol dans une cave), et tu empoignes un carton que tu connais bien.
Il n'a pas été ouvert depuis ton arrivée ici. Il n'est jamais ouvert que par toi, on le range toujours bien sage dans son coin, d'ailleurs c'est marqué dessus, il ne faut pas l'ouvrir. Jamais. Sauf le jour où tu commences ton déménagement. C'est une sorte de rituel, comme un signal de départ qui ouvrirait le bal et lancerait la musique.
Sur ce carton fatigué par les années, tu as inscrit ton nom, et juste à côté "Archives privées".
Tu t'installes sur un coin de table, avec une tasse de thé, et tu ouvres une à une les enveloppes jaunies, les journaux intimes et les cahiers d'écolière sage que tu étais. C'est resté intact, l'ambiance, les odeurs, les sensations qui t'habitaient. Tu ne te remémores pas, tu y ES. Le passé est là, entre tes mains, et tout te revient, comme si c'était hier, il y a un instant.
Tu entends les rires, tu sens ton coeur tressaillir, tu es à fleur de peau, tu trembles un peu, c'est l'émotion. Et tu te laisses envahir doucement par cette sérénité profonde, celle qui t'habitait quand tu étais enfant. Tu repenses à ceux que tu n'as pas revus depuis longtemps, ceux qui sont partis et qui ne reviendront plus.
Tu as quelques années de plus que la dernière fois, mais c'est tant mieux. C'est étrange, le temps qui s'écoule n'efface pas le souvenir, bien au contraire. Cette petite fille que tu retrouves, émue, ne t'a jamais quittée. Elle est toujours là, présente au creux de toi. Ce sont ses larmes qui coulent sur tes joues. Ce sont tes mots que tu lis sur son papier.
Ses cahiers, ses lettres d'amour enflammées, ce sont les tiennes. Cette époque bénie de l'insouciance et de la beauté, certes révolue dans le temps est inscrite, gravée dans ta chair. Tu l'avais juste oubliée un instant, happée par la vie et par ses obligations.
Tu vas refermer ce carton, comme à chaque déménagement. Tu n'en as rien jeté comme à ton habitude.
Un jour tu le brûleras. Dans très longtemps.
Le jour où tu n'auras plus peur de la mort, le jour où tu pourras te détacher des choses de cette terre, sans regrets ni remords.
En attendant tu l'emportes avec toi, et tu le gardes précieusement.
Et tu retournes au boulot dis donc, t'as perdu assez de temps comme ça...