Je tremble pour eux, chaque jour que Dieu fait.
Chaque jour que Dieu fait, je prie le Ciel de les protéger.
C'est seulement le soir, une fois qu'ils sont couchés que je respire un peu mieux. Je les sais en sécurité.
C'est l'heure de la sérénité maternelle, qui embrasse doucement sa progéniture en espérant que demain, demain ça ira bien aussi.
J'ai toujours peur.
Peur de la mauvaise rencontre, de la mauvaise décision. De la seconde d'innatention qui fera tout basculer.
Je vois des ogres cachés derrière les arbres du sentier, des loups affamés roder la nuit dans les fourrés.
Je les plains quand de l'école ils reviennent blessés. Par un regard ou une parole abrupte et mal placée.
Sans les inciter à la vengeance, je leur apprends à se défendre, à ne pas se laisser faire.
J'espère en silence qu'ils choisiront les bons amis, les attentionnés, les sages et les gentils.
J'instaure autant que possible à la maison un climat de paix et de sérénité.
Pas de télévision, des jeux vidéos adaptés à leur âge, interdiction de jurer ou de dire des gros mots (sauf pour maman quand elle conduit la voiture)
NO VIOLENCE.
Jusqu'à hier j'étais pétrie de certitudes, j'aurais donné le bon Dieu sans confession à chacun de mes enfants.
Jusqu'à hier.
Et puis hier soir, je suis tombée de l'armoire.
De Maman Chèvre, je me suis métamorphosée en Maman Loup-Garou.
Je n'avais jamais pensé être un jour la mère du caïd que l'école entière (adultes compris) craint et redoute.
J'ai été "convoquée" pour un compte-rendu des agissements déplacés de Pierre Lapin.
Certes, Pierre n'est pas un ange. Je le savais déjà.
N'empêche j'étais à mille lieux de l'imaginer capable de réaliser ce qui suit.
Pendant le déjeuner, il a fait un doigt d'honneur à la "dame de cantine". Il a joint à son geste une parole très grossière que je suis dans l'incapacité de restituer par écrit.
J'ai pleuré, beaucoup.
J'ai écouté Pierre, longtemps, m'expliquer pourquoi il a fait et dit cela, où il l'avait entendu.
J'ai accepté ses excuses et essuyé nos larmes.
Et j'ai réfléchi.
Camille et Jean-Baptiste ont eu 8 ans eux aussi. Ils sont passés par les mêmes difficultés, ont constaté au même âge les mêmes contradictions : ce vide intersidéral entre ce qu'ils voient et entendent à la maison et ce qu'ils vivent à l'école. Ils s'en sont bien sortis, sans se laisser influencer. Ils ont su choisir leurs amis, des enfants éduqués et bienveillants.
Avec Pierre ça ne se passe pas aussi bien.
Sa nature anxieuse le pousse à l'excès.
En tout.
D'aussi loin que je me souvienne, il a toujours été attiré par l'interdit, ce qui est sale, ce qui fait peur.
Son premier retour de bibliothèque : un livre sur les araignées et les migales.
Son deuxième : le squelette.
Quand une dame maquille les enfants à un anniversaire, il veut être un vampire.
En petite section son meilleur ami c'était Radu "parce que quand je le tape ça lui fait pas mal" (Radu était un peu enveloppé)
Il prend des risques, s'aventure sans vraiment réfléchir.
Qui avons-nous perdu lors d'une ballade en famille ? Pierre.
Qui est tombé la tête la première dans le bassin d'eau croupie de la Maison Bleue ? Pierre.
Qui a repeint sa chambre avec le contenu de sa couche, sans oublier ses cheveux et ses sourcils ? Pierre.
Pour autant c'est un enfant très sensible, et je peux dire avec certitude qu'il a une âme aussi délicate qu'elle est complexe.
Il est impressionnable, et influençable.
Plus qu'aucun autre de nos enfants il a besoin d'un cadre rassurant et sain.
J'envisage de le changer d'école.
A deux pas de chez nous il existe une petite école hors contrat.
Ses effectifs réduits permettent un suivi quasi personnalisé de chaque élève. Le niveau et l'ambiance y sont excellents.
J'ai rendez-vous avec la directrice prochainement, pour en discuter.
Je n'ai pas encore pris de décision.
C'est un choix important qui mérite réflexion.
Il y a du pour, il y a aussi du contre.
Et vous, que feriez-vous à ma place ?